La politisation de la Boucle du Hainaut compromet l’avenir de la province, du pays et du climat

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Auteur : Prof. Damien Ernst – Carte blanche publiée dans le journal l’Echo le 23-05-2023.

Qui ne rêverait pas d’un Hainaut prospère où le taux d’emploi serait à des niveaux jamais atteints ?  Qui ne rêverait pas que la Belgique puisse bénéficier de l’énergie produite par ses éoliennes en mer du Nord afin de décarboner son économie ?  Une énergie décarbonée qui servirait l’entreprise, l’économie et le citoyen belge. Ce rêve était à portée de nos mains. Mais la politisation d’un dossier crucial pour notre région nous en éloigne chaque jour un peu plus.

Ce dossier, c’est celui de la Boucle du Hainaut, un projet de liaison électrique de 6 GW, capable de transporter la production de 6 réacteurs nucléaires d’une puissance comparable à ceux de Tihange. Une liaison de 380.000 volts qui devrait traverser 14 communes du Hainaut pour relier le poste électrique d’Avelgem, en Flandre occidentale, à celui de Courcelles, dans le sud du Hainaut — une des seules régions du pays qui ne possède aucune liaison électrique principale, soit avec un niveau de tension de 380 kV.

Si tout le monde comprend les avantages économiques d’une nouvelle autoroute, ceux d’une nouvelle liaison à haute tension restent cruellement abstraits. Le citoyen constate que son frigo fonctionne et ça lui suffit. La faiblesse du réseau hennuyer ne semble donc pas avoir trop de conséquences. Pour l’instant. Mais demain, nos véhicules seront électriques. Tout comme nos chauffages. Les industries « s’électrifieront » aussi. Et cette électricité devra être décarbonée. Sans la Boucle du Hainaut, la province risquera donc de connaître des problèmes d’approvisionnement en électricité. C’est là que, pour le citoyen, l’entrepreneur, le politique, l’abstrait rejoindra le concret : cette nouvelle dorsale de l’électricité est essentielle pour le Hainaut.

Sans cette Boucle, il ne sera sans doute plus possible d’accueillir de nouvelles industries. Aujourd’hui déjà, des entreprises hésitent à s’installer dans la province qui fut autrefois un des cœurs industriels et économiques de l’Europe du Nord, parce qu’il est difficile d’y obtenir une connexion électrique d’une puissance suffisante.

Mais la Boucle du Hainaut est aussi essentielle pour le développement de l’éolien en mer du Nord. Et donc pour le climat. On parle d’un potentiel global de 400 GW d’éolien. Mais pour pouvoir être exploitée, cette énergie renouvelable doit aussi pouvoir être écoulée de la mer du Nord vers l’intérieur de l’Europe continentale. Sans une liaison électrique de la dimension de la Boucle du Hainaut, les plans fédéraux de développement du renouvelable en mer du Nord prennent l’eau. Et l’on verra sombrer les bénéfices climatiques que devaient offrir les centaines de nouvelles éoliennes gigantesques, et l’île énergétique dont le fédéral fait une intense promotion.

Alors qu’il n’est pas particulièrement nécessairement connu pour son engagement écologique, le gouvernement flamand a compris les opportunités économiques offertes par l’éolien offshore. Il a déjà décidé d’autoriser la construction du pendant flamand de la Boucle du Hainaut, le projet Ventilus.

Afin d’avoir un maximum de garanties, le gouvernement wallon a demandé diverses études qui concluent toutes à la nécessité de réaliser la Boucle du Hainaut. Toutes, elles reconnaissaient la pertinence du choix technologique pour construire cette dorsale de l’électricité décarbonée, à savoir une liaison aérienne opérée en courant alternatif. Enfin, début février, la Wallonie décidait de donner son feu vert à la première étape du projet, soit l’ouverture à révision des plans de secteurs. Une procédure indispensable pour qu’Elia — qui opère et développe le réseau électrique haute tension en Belgique — puisse solliciter, dans une étape ultérieure, le permis nécessaire à la construction de cette nouvelle liaison.

Pour en arriver à ce stade, des années de travail ont été nécessaires. Rencontres avec les riverains, les agriculteurs et les pouvoirs politiques locaux. Le tracé a par ailleurs été étudié pour provoquer le moins de nuisances possibles et le cas échéant, des dispositifs de compensation ont été mis en place pour les personnes impactées. La décision du gouvernement wallon permettait d’espérer que la Boucle du Hainaut soit opérationnelle avant 2030.

Malgré les certitudes apportées par les experts sur le choix technologique, les discussions subsistent. Et un nouveau voile s’abat sur l’avenir du Hainaut.

Et tout cela, parce que quelques militants hyper actifs continuent à s’y opposer. Et le dossier a désormais été politisé ! S’opposer à ce projet est tout à coup devenu un élément de différenciation politique qui peut rapporter des voix. Avec des arguments simplistes basés sur la théorie du « y’a qu’à » : y a qu’à enterrer la ligne, y a qu’à installer des mégabatteries, y a qu’à transporter de l’hydrogène à la place de l’électricité. Les ingénieurs électriciens un rien sérieux hésitent entre le sourire désolé et la consternation.

Entretemps, le discours simpliste propagé par quelques-uns réduit la marge de manœuvre des hommes et femmes d’état, celles et ceux qui se sont un jour engagé(e)s en politique pour le bien public, pour prendre de manière sereine les décisions cruciales pour l’avenir énergétique et économique et climatique du pays et donc aussi de la province du Hainaut. Il est même probable que celles et ceux qui ont politisé le dossier soient persuadés de bien faire, et ne prennent pas conscience des dégâts qu’ils ou elles causent.

Ce n’est pas la première fois que des postures politiques conduisent à des aberrations en matière de politique énergétique. Mais chaque fois est une fois de trop.

L’heure est donc venue d’en appeler au sursaut. Le débat politique le plus ouvert fait certes la vigueur et la richesse de nos démocraties. Mais lorsqu’il est miné par « la politique politicienne », il fragilise nos démocraties et favorise la montée des extrêmes.

Jouer un tel jeu avec la Boucle du Hainaut entraînera des conséquences qui n’auront rien d’abstrait. Elles toucheront les entreprises, l’emploi, le confort et le bien-être des ménages. Elles toucheront le citoyen de plein fouet. Alors même que la crise climatique et énergétique nous rappellent à quel point de mauvaises décisions peuvent mener au désastre, il est urgent de rappeler que le vrai courage en politique, c’est de servir le citoyen et non de le séduire.

Car si le projet de la Boucle du Hainaut devait être retardé, ou pire annulé, nous serions tous perdants.

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