Article publié dans le journal l’Echo le 30/04/2024. Accéder au pdf de l’article : https://hdl.handle.net/2268/316876
Le climat ne débat pas
Certes, les climato-réalistes, ou climato-optimistes, ne nient pas le changement climatique. Ni même que les irrégularités météorologiques qui en découlent peuvent causer plus de calamités que par le passé. Mais ils pensent qu’une gouvernance efficace et des mesures d’adaptation climatique ciblées suffiront à les juguler. Il suffirait donc, selon eux, d’en prévenir les conséquences bien à temps, et tout ira bien… Ce bel argument est toutefois dangereux, car il pourrait réserver de mauvaises surprises. Comme celles qui sont déjà observées.
Alerte en mer et sur terre
Car la planète s’échauffe plus fort et plus vite que ne le prévoyaient les modèles climatiques les plus pessimistes. Le dernier rapport sur l’état du climat mondial de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) confirme que 2023 fut de loin l’année la plus chaude jamais enregistrée. La hausse des températures en mer est encore plus inquiétante. Car c’est le puits de carbone le plus important de la planète. Et la science est claire : en se réchauffant, il absorbera moins de CO2.
Mais la mer est aussi un puits de solutions pour lutter contre la surchauffe de la Terre. En effet, le vent marin est une source d’énergie magnifiquement abondante. L’éolien en mer interfère aussi très peu avec d’autres activités humaines et a un impact très limité sur le milieu marin.
La Belgique a misé sur l’éolien offshore dès le début du 21e siècle. Elle figure aujourd’hui dans le top 5 mondial du secteur. Mais nous nous heurtons déjà à nos limites géographiques. Les éoliennes en mer ne sont autorisées que sur un maigre 15 % des eaux territoriales belges. Ainsi, même lorsque le potentiel éolien offshore belge sera pleinement exploité — d’ici 2030 —, notre petite mer du Nord ne pourra fournir qu’un quart environ de la demande en électricité. C’est nettement insuffisant face aux besoins de décarbonation de l’énergie. Nous devons donc oser regarder plus loin, à l’horizon, comme le faisaient les explorateurs qui nous ont précédés, depuis des milliers d’années.
Le plein de renouvelable en haute mer.
On les appelle haute mer ou eaux internationales. Ce sont les zones qui se trouvent au-delà des eaux territoriales des États côtiers. Elles couvrent la moitié de la surface de la Terre et 65 % de celle des océans. Des activités humaines s’y développent déjà : pose de câbles et de canalisations sur le fond marin, transport maritime, pêche, etc. Le droit maritime international établit les zones autorisées pour chaque activité. Si l’éolien de haute mer est toujours un terrain vierge, on explore déjà les possibilités de le développer. En Amérique du Nord, au Japon ou en Norvège, des universitaires examinent depuis quelques années la faisabilité juridique et technique du développement de ce potentiel pratiquement inépuisable d’énergie.
L’éolien de haute mer offre d’innombrables avantages. De l’espace à perte de vue, d’excellentes vitesses de vent, la stabilité géopolitique qui découle de l’absence de contrôle national, l’accès à une source d’énergie verte abondante, tant pour la Belgique que pour d’autres pays qui ont un accès limité à la mer — ou pas d’accès du tout, comme l’Autriche et d’autres pays d’Europe centrale.
Nous sommes des experts du secteur de l’énergie, travaillant depuis des années sur la décarbonation de l’économie belge, tout en ayant la volonté de préserver la compétitivité de nos entreprises. Nous constatons avec désarroi que la collecte d’énergie renouvelable en haute mer se situe dans un angle mort de notre politique énergétique. Nous pensons qu’il est impératif pour la Belgique, et l’Europe aussi, de commencer à étudier les aspects juridiques, économiques et techniques de l’énergie renouvelable dans les eaux internationales. Nous appuyons cette opinion sur un double constat : primo, le potentiel d’énergie renouvelable en Belgique est insuffisant pour répondre à terme à la demande électrique des entreprises et citoyens belges. Secundo, pour atteindre le zéro net en 2050, il est indispensable d’accroître fortement l’offre en électricité renouvelable, tant en Belgique qu’au niveau mondial. Et justement, l’éolien et le solaire de haute mer peuvent contribuer à grande échelle, tant à la décarbonation de l’énergie qu’à la sécurité d’approvisionnement. De plus, forte de son industrie maritime et guidée par ses chercheurs de renommée internationale dans le domaine des océans et de l’énergie, la Belgique est à même de bâtir son futur énergétique sur l’éolien offshore, et de mettre le cap sur la haute mer pour convertir le vent océanique en énergie sûre et respectueuse du climat.
Nous devons saisir cette chance d’un changement radical d’échelle en matière d’énergie renouvelable pour une fourniture sûre et stable. L’agenda climatique, dont les voiles sont aujourd’hui en berne, a grand besoin de ce vent frais. Et surtout, laisser passer une alternative aussi prometteuse aux carburants fossiles relèverait de la négligence coupable.
Des membres du collectif REHS (Renewable Energy in the High Seas)
Damien Ernst, Professeur, Université de Liège.
Pieter-Jan Jordaens, Program manager Offshore Wind at Sirris, OWI-Lab
Jef Monballieu, Business Director, Multi.engineering
Annemie Vermeylen, Offshore wind energy regulatory expert


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